Nouveautés
L'invention du paradis
18/12/2009
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Köbi Gantenbein
La recherche du paradis dans les Alpes est un phénomène relativement récent dans l'humanité. Cette aspiration, née avec les nobles Anglais qui voyageaient dans les Alpes au 19ème siècle, n'a pas toujours été comblée. Peu importe, on peut toujours construire. Une balade à travers l'architecture alpine, avec Köbi Gantenbein, chef rédacteur du magazine " Hochparterre ".
Il n'est pas de pays, hormis la Suisse, où l'architecture ait rendu les montagnes aussi productives. Jean-Jacques Rousseau a mis le feu aux poudres il y a deux cent ans. A la suite de son invention du " bon sauvage ", les " monchus " des villes se lancèrent à la découverte des montagnes. Ce fut le début d'une ruée vers l'or spectaculaire ; spectaculaire parce que cet or n'était pas enfoui dans la montagne, mais parce que c'était un spectacle qu'il fallait d'abord inventer, construire, monter, mettre en mots et en images, bref, mettre en scène. Le chalet fut le premier triomphe de l'architecture suisse dans le monde. Présenté comme " Swiss House " à l'Exposition universelle de Londres en 1887, il était à la fois promesse de paradis et réclame touristique. Imaginez, ensuite, tout ce qu'il fallut faire, pour aménager des lieux où l'élite pourrait se retrouver, avec tout ce que cela implique, là-haut dans ces montagnes qui n'avaient guère à offrir que la faim, des pierres, de longs hivers, et certes une belle lumière. Et pourtant, les noms de St-Moritz, Zermatt, Gstaad résonnèrent bientôt dans les salons des grandes villes…
Illusion en ruines
L'invention du paradis est indissociable de prouesses techniques telles que le percement, le franchissement et le gravissement des montagnes au moyen de chemins de fer, de téléphériques, de funiculaires, de télésièges et de téléskis. Mis à part les réalisations des ingénieurs, il a fallu et il faut avant tout donner l'illusion de la vie citadine à une altitude de 1 800 mètres et y créer des décors ingénieux avec une belle mise en scène, où sont assurés tout le confort imaginable, l'électricité, l'approvisionnement, l'élimination des déchets et un service client 24h sur 24. Une opulence et un gaspillage étrangers dès le départ au contexte local. Ces chefs-d'œuvre virent le jour durant la seconde moitié du 19ème siècle. Des ruines subsistent, par exemple à Maloja, où un comte belge spéculateur fit sortir de terre le " Maloja Palace ". La mise en scène y était permanente ; si les hôtes le souhaitaient, on leur organisait, dans la salle à manger, des nuits vénitiennes où les serveurs chanteurs naviguaient de table en table en jouant les gondoliers. Ce palais fit faillite quelques années plus tard, mais il a marqué à tout jamais l'archétype du tourisme : tourisme et mise en scène sont désormais indissociables. Depuis la chute du comte, le scénario est resté le même, avec des variantes pleines d'imagination : les rêves de paradis de la clientèle doivent être exaucés, avec à chaque fois une nouvelle touche.
Energie et créativité jetées par les fenêtres
C'est pourquoi tourisme rime désormais avec débauche sans limite d'idées, de matériel et d'énergie ; une particularité qui marque encore de nos jours la construction touristique. Au vu du profit immédiat généré, c'est indéfendable philosophiquement et moralement, et ça dépasse même l'entendement. C'est donc peine perdue, assurément, que de s'en prendre aux guillerettes maisons Walser du Tyrol, aux chalets prétentieux ou à la laideur de sites tels que St-Moritz, Zermatt, Gstaad ou Crans-Montana. Et quiconque loue l'habileté déployée par Samih Sawiris dans l'architecture contemporaine de sa nouvelle Andermatt doit savoir que, quoiqu'il bâtisse, il y aura gaspillage dans la construction comme dans l'exploitation. La critique ne doit pas porter sur des questions esthétiques de mise en scène, ni sur un appauvrissement supposé du patrimoine et du paysage, mais sur la quantité invraisemblable d'énergie, de matériel et d'imagination nécessitée par la construction et l'exploitation de nouveaux palaces, de résidences secondaires associées, de canons à neige jusque dans les villages et de routes jusqu'aux alpages.
Défenseur d'une architecture Contemporaine
Köbi Gantenbein est rédacteur en chef de la revue d'architecture " Hochparterre ". Il vit et travaille à Zurich et à Fläsch, dans le canton des Grisons. Il a réalisé un parcours sans faute dans le domaine touristique, comme caddie de golf, portier d'hôtel, maître nageur, moniteur de ski et serveur.
www.hochparterre.ch (d)
Illusion en ruines
L'invention du paradis est indissociable de prouesses techniques telles que le percement, le franchissement et le gravissement des montagnes au moyen de chemins de fer, de téléphériques, de funiculaires, de télésièges et de téléskis. Mis à part les réalisations des ingénieurs, il a fallu et il faut avant tout donner l'illusion de la vie citadine à une altitude de 1 800 mètres et y créer des décors ingénieux avec une belle mise en scène, où sont assurés tout le confort imaginable, l'électricité, l'approvisionnement, l'élimination des déchets et un service client 24h sur 24. Une opulence et un gaspillage étrangers dès le départ au contexte local. Ces chefs-d'œuvre virent le jour durant la seconde moitié du 19ème siècle. Des ruines subsistent, par exemple à Maloja, où un comte belge spéculateur fit sortir de terre le " Maloja Palace ". La mise en scène y était permanente ; si les hôtes le souhaitaient, on leur organisait, dans la salle à manger, des nuits vénitiennes où les serveurs chanteurs naviguaient de table en table en jouant les gondoliers. Ce palais fit faillite quelques années plus tard, mais il a marqué à tout jamais l'archétype du tourisme : tourisme et mise en scène sont désormais indissociables. Depuis la chute du comte, le scénario est resté le même, avec des variantes pleines d'imagination : les rêves de paradis de la clientèle doivent être exaucés, avec à chaque fois une nouvelle touche.
Energie et créativité jetées par les fenêtres
C'est pourquoi tourisme rime désormais avec débauche sans limite d'idées, de matériel et d'énergie ; une particularité qui marque encore de nos jours la construction touristique. Au vu du profit immédiat généré, c'est indéfendable philosophiquement et moralement, et ça dépasse même l'entendement. C'est donc peine perdue, assurément, que de s'en prendre aux guillerettes maisons Walser du Tyrol, aux chalets prétentieux ou à la laideur de sites tels que St-Moritz, Zermatt, Gstaad ou Crans-Montana. Et quiconque loue l'habileté déployée par Samih Sawiris dans l'architecture contemporaine de sa nouvelle Andermatt doit savoir que, quoiqu'il bâtisse, il y aura gaspillage dans la construction comme dans l'exploitation. La critique ne doit pas porter sur des questions esthétiques de mise en scène, ni sur un appauvrissement supposé du patrimoine et du paysage, mais sur la quantité invraisemblable d'énergie, de matériel et d'imagination nécessitée par la construction et l'exploitation de nouveaux palaces, de résidences secondaires associées, de canons à neige jusque dans les villages et de routes jusqu'aux alpages.
Défenseur d'une architecture Contemporaine
Köbi Gantenbein est rédacteur en chef de la revue d'architecture " Hochparterre ". Il vit et travaille à Zurich et à Fläsch, dans le canton des Grisons. Il a réalisé un parcours sans faute dans le domaine touristique, comme caddie de golf, portier d'hôtel, maître nageur, moniteur de ski et serveur.
www.hochparterre.ch (d)