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Point de vue : Entretenir la flamme de la solidarité au lieu d’allumer le feu de la discorde
Tout a commencé il y a 30 ans : dans la haute vallée de Madris dans les Grisons, tout près du Val Bregaglia italien, un feu a brûlé en montagne pour lancer un appel à l’aide et à la résistance. Je travaillais alors comme berger alpin. Avec une poignée de gens courageux, habitants de souche et nouveaux arrivants, je me suis battu avec ma famille contre un projet de retenue destiné à une centrale de pompage-turbinage – un projet comme il en existait des douzaines à l’époque dans les Alpes suisses. La construction débridée d’autoroutes de transit à travers les Alpes, la dévalorisation de l’agriculture de montagne, l’avènement des canons à neige et la prolifération des stations de ski nous ont également mobilisés pour la défense de l’environnement. Les feux traçaient un lien entre les thématiques, les régions et les gens. Nous imaginions cette chaîne de lumières vue par un oiseau survolant de nuit les Alpes, de Vienne/A à Nice/F.
La diffusion de la notion de durabilité en tant que concept fondamental du développement montre que les innombrables pionniers avaient raison. En particulier ceux qui, depuis les années 1950, ont défendu inlassablement l’idée d’un traité de protection à l’échelle alpine. Ce traité est devenu réalité en 1995. Depuis cette date, la Convention alpine définit le cadre politique d’un développement économique compatible avec le respect de l’environnement.
Mais le travail n’est pas terminé. Une crise climatique imminente menace la région alpine. Et un poison bien connu palpite dans les veines de nombreux habitants des Alpes : le nationalisme.
Le changement climatique a montré ses crocs cet été avec la grave sécheresse qui a frappé les Alpes germanophones et qui, dans certains endroits, a entraîné une interdiction générale de faire du feu. Les feux dans les Alpes ont donc été remplacés par un show lumineux qui a fasciné les participants de l’événement organisé par l’Initiative des Alpes, Mountain Wilderness et la CIPRA à l’occasion du 30e anniversaire de l’action.
Le nationalisme célèbre une sombre renaissance en promettant des recettes simples pour résoudre les problèmes politiques. Or, il ne produit qu’une seule chose : des perdants. Mes vacances d’été au bord des eaux turquoise de la Soça en Slovénie me l’ont rappelé. Les rencontres chaleureuses avec les habitants des Alpes juliennes m’ont fasciné, au-delà des langues et des frontières. Mais les cicatrices du front de l’Isonzo encore visibles à flanc de montagnes et dans les villages ont ravivé en moi les terribles souvenirs de la Première Guerre mondiale. Au nom des idéaux nationalistes, les soldats slovènes, autrichiens, hongrois, allemands et italiens se sont entretués pendant deux ans sur les crêtes et dans les vallées, dans des combats qui ont coûté la vie à quelques 200 000 personnes.
C’est donc à nous, les habitants des Alpes d’aujourd’hui, qu’il incombe d’affronter ces deux menaces : le nationalisme et la crise climatique. Avec des actes d’innovation et de modestie, avec esprit d’ouverture et humanisme, unis par-delà les cimes et les frontières nationales. Pour que les feux ne brûlent pas en dévastant tout sur leur passage comme la guerre ou les feux de forêt, mais qu’ils fassent naître dans nos cœurs une flamme de solidarité.