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Un système d’échange régional
L’été tire à sa fin. Randonneurs de Berlin, Briançon, Zurich, Malbun ou Bovec, tous ont admiré tout au long de la belle saison les prairies fleuries des Alpes, les forêts et torrents de montagne. La plupart d’entre eux n’imaginent sans doute pas que ces merveilles de la nature, au-delà de leur valeur esthétique, rendent aux habitants du centre de l’Europe de nombreux services de grande valeur. Les services dits « éco-systémiques » correspondent aux avantages que les hommes et les femmes tirent des écosystèmes et qui ont une forte influence sur leur qualité de vie. L’air et l’eau de qualité, le stockage de CO2, la protection contre les aléas naturels, des espaces de loisirs et des énergies renouvelables : voilà quelques-uns des services rendus par la nature alpine. Plus les écosystèmes sont intègres et « sains », plus les services rendus seront variés et complets. Pour cela, les processus naturels ont besoin de temps et d’espace pour se développer et la diversité biologique doit être préservée.
Services gratuits ?
Les bénéficiaires des services éco-systémiques alpins résident dans les Alpes, mais aussi bien au-delà, en particulier dans les agglomérations du piedmont alpin. Les « alpins » comme les « urbains » estiment que les services éco-systémiques sont gratuits. Pour des raisons diverses, les uns comme les autres détériorent ou détruisent toujours plus d’écosystèmes. La croissance économique reste le critère majeur d’orientation des politiques publiques, accentuant la pression sur de nombreux écosystèmes alpins. Au niveau mondial on estime que 60% des écosystèmes sont en danger et dans les Alpes, 45% des espèces végétales sont menacées d’extinction d’ici 2010.
Les communautés de montagnes considèrent bien souvent la préservation de la nature comme un frein à leur développement (économique), donnant la priorité à de nouvelles infrastructures. Protéger la nature est jugé comme une tâche qui coûte cher – et ne rapporte rien. Quant aux populations et décideurs des régions urbaines, ils sont loin de la source et ne se sentent pas responsables de la préservation des écosystèmes de montagne. Divers programmes internationaux aident à mieux comprendre les écosystèmes et les services qu’ils rendent, et à en estimer la valeur économique. Dans le cadre du projet recharge.green, la CIPRA et ses partenaires proposent des outils aux pouvoirs publics, pour évaluer de façon objective les coûts et bénéfices de la production d’énergies renouvelables, par rapport à ceux d’autres services éco-systémiques. Même s’il est parfois difficile d’exprimer la valeur de ces services en euros ou en francs suisses, ces travaux peuvent aider à mieux prendre en considération les services rendus par la nature dans les politiques publiques. Ils contribuent à sensibiliser les décideurs à la notion d’écosystèmes et à l’importance de leur préservation, ouvrant la voie vers une façon moins destructrice d’occuper la montagne. Comme le demandent les partenaires de greenAlps, dont la CIPRA, il est temps de « passer d’une logique de compensation des dommages environnementaux à un système d’évaluation et de rétribution des services éco-systémiques ». Préserver les écosystèmes peut générer des économies et de la richesse. Ainsi, un écosystème fluvial proche de l’état naturel peut assurer la protection contre les inondations, sans recourir à de lourds aménagements de génie civil.
Une coopération d’égal à égal
L’approche éco-systémique offre une autre vision de la répartition des richesses, des rôles et des responsabilités. Elle permet de ne plus considérer les territoires de montagne simplement comme des régions défavorisées qu’il faut subventionner. Les territoires de montagne, avec leurs écosystèmes, fournissent des services de grande valeur qui doivent être rétribués, tout comme les services fournis par les régions urbaines, tels que la santé, la formation ou l’accessibilité.
Les partenaires de greenAlps concluent que mieux valoriser et gérer les services éco-systémiques nécessite une coopération renforcée au sein de « régions de travail » entre divers types d’acteurs, par-delà les frontières sectorielles et territoriales. Les pouvoirs publics y ont un rôle clef à jouer pour établir le lien entre experts et ONG, élus et lobbyistes. Certaines coopérations existent déjà entre villes alpines et territoires de montagne, par exemple les régions pilotes pour la connectivité écologique de la Convention alpine, les régions LEADER ou les parcs naturels régionaux et leurs villes portes. Toutefois les structures et outils de coopération avec les grandes métropoles du pourtour des Alpes font encore défaut. La Stratégie européenne pour la région alpine pourrait aider à évoluer dans ce sens, puisqu’elle pose comme principe la coopération d’égal à égal entre le cœur des Alpes et les métropoles alentours, ainsi que l’importance de préserver les écosystèmes et les services qu’ils rendent.
Claire Simon
CIPRA International