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Tirer les leçons du passé

22/09/2008 / Serena Rauzi
" L'innovation est un moyen formidable pour résoudre des problèmes que nous n'aurions pas eus sans les innovations précédentes ", c'est ainsi que Claude Eckhardt, du Club Arc Alpin, a abordé la seconde session de la Semaine alpine consacrée aux innovations du passé.
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Aujourd’hui, des bandes blanches suffisent plus : l’offre touristique hivernale doit s’enrichir d'innovations durables. Il n’y a pas d’autres options possibles pour avoir du succès dans une époque marquée par le changement climatique. Gesellschaft für ökologische Forschung
En paraphrasant un proverbe français il résumait du même coup avec ironie et concision la complexité du sujet abordé. L'innovation est un honneur réservé à l'homme par lequel il vise à améliorer les conditions de vie des êtres humains. Comme tous les honneurs, il comporte aussi une grande part de responsabilité. La responsabilité de comprendre quand et comment faire machine arrière lorsque le côté pernicieux ou inutile de certaines innovations devient évident. Il est par conséquent indispensable d'appréhender les mécanismes et les conséquences qu'ont engendré les innovations du passé. L'objectif est d'en tirer des enseignements et d'éviter de commettre les mêmes erreurs dans le futur.
L'innovation ne doit pas être confondue avec une invention ou une idée novatrice. En effet, si l'on veut que ces dernières deviennent effectivement une innovation, il convient d'observer dans un contexte et un processus donnés, si elles contribuent à améliorer les anciennes conditions de vie. En comparant " hier " et " aujourd'hui ", les intervenants de la seconde session de la Semaine alpine ont présenté des innovations liées au tourisme, aux espaces protégés, à l'industrialisation et au pastoralisme alpin.

Tourisme d'hiver : heurs, malheurs et nouvelles orientations à suivre
Depuis les années 60, le tourisme hivernal et par conséquent le ski ont façonné le monde de la montagne ; d'où de nombreuses répercussions, souvent positives (s'agissant du développement économique), mais aussi négatives à cause de la surexploitation du territoire. La pratique du ski, une innovation en soi, de même que toutes les autres innovations techniques qu'elle a entraînées (enneigement artificiel, remontées mécaniques, paravalanches, etc.) ont eu et continuent d'avoir un fort impact sur l'environnement.
Hier : on misait sur la ressource neige et sur le ski en investissant dans de grosses infrastructures, sans tenir compte des conséquences que ce développement pouvait induire sur l'environnement, la population locale et le touriste lui-même.
Aujourd'hui : être conscients des dommages causés à l'environnement par cette " monoexploitation " devrait nous inciter - plus encore que ça n'est déjà le cas- à être attentifs à l'ensemble des questions et des besoins qui se font jour. Cela va du besoin de nature et de paysages préservés à celui de bien-être, de culture, d'identité et de spécificités culturelles, le tout étant sous-tendu par la recherche continue d'émotions fortes.
Une offre diversifiée, tel est désormais le nouvel objectif, le grand défi en termes d'innovation auquel les opérateurs du tourisme doivent répondre.
Parallèlement, les communes de montagnes et des vallées alpines doivent se réapproprier leur histoire et leur culture. Ainsi elles pourront à nouveau considérer la beauté de leur territoire (pâturages, forêts, sommets) comme un véritable patrimoine et réajuster l'utilisation qu'elles font des ressources naturelles. Innover, c'est également retrouver des valeurs du passé, souvent oubliées, sans se replier dans un esprit de clocher nostalgique et contreproductif. Cela, tout en s'ouvrant à d'autres réalités, en se familiarisant avec des modèles novateurs à même de faire évoluer et de développer le territoire de manière durable.

Espaces protégés : être à l'écoute, tel est le mot d'ordre
S'agissant des espaces protégés, les intervenants ont moins évoqué les innovations techniques que l'innovation législative et la participation.
Hier : selon la loi française de 1960 sur les parcs nationaux, un parc national comportait une zone centrale fortement protégé, entourée d'une zone périphérique assez mal définie, dans laquelle il était possible d'exercer des activités socio-culturelles et économiques selon une logique de compensation.
Aujourd'hui : la loi française de 2006 a radicalement revu cette définition. Un parc national est un tout composé d'un noyau central, le " cœur " et d'une zone périphérique, dite " d'adhésion ". Les communes du territoire peuvent décider librement, en impliquant la population, de participer ou non à ce projet territorial en passant un accord avec le parc (via une charte) pour une durée de quinze ans renouvelables.
C'est tout à la fois le contenu et le processus d'élaboration de cette loi qui sont novateurs. Cette loi est en effet le fruit de l'observation d'une initiative du Parc des Ecrins ayant débuté en 1996 et qui prévoyait précisément un partenariat de ce genre entre parc et communes ; autrement dit, plutôt que d'une loi imposée d'en haut, on est parti de l'observation de ce qui se passe sur le terrain pour remonter jusqu'à une réglementation faisant consensus.
Compte tenu de la diversité des interlocuteurs avec lesquels le parc doit désormais communiquer, " savoir être à l'écoute " des autres devient une condition sine qua non de la réussite de ces processus participatifs.
Hier : la création d'espaces protégés était un acte imposé - dans la majeure partie des cas indispensable - pour préserver de précieux territoires du développement effréné des stations de ski, de l'urbanisation, etc.
Aujourd'hui : si l'on veut tabler sur le succès durable de la création d'un parc, un processus d'identification de la population locale au parc est indispensable, il faut que cette population voie dans cet espace protégé une importante source de développement.

Industrie et élevage : deux mondes qui s'opposent
Nombreux sont ceux qui ont décrit le monde alpin comme un " obstacle à l'industrialisation " (Bätzing), " un espace fondamentalement imperméable aux changements " (Zurfluh), " incapable de faire face aux défis de l'économie industrielle " (Bergier), " subissant la dissolution de sa territorialité et de l'ensemble des relations sociales et économiques qui en avaient caractérisé les dynamiques jusqu'à vers le milieu du XIXe siècle " (Raffestin, Crivelli).
L'étude comparée du développement industriel qu'ont connu les cantons du Valais, du Tessin et de la Valteline présentée dans la dernière partie de la session, même si elle ne contredit pas totalement les affirmations ci-dessus, a montré que dans ces régions on est parvenu à un développement industriel ne bouleversant pas totalement les équilibres et les relations sociales. On y est parvenu précisément parce que les activités industrielles reposaient sur les ressources locales (eau et minerais principalement dans le Valais), sur les activités traditionnelles du territoire (artisanat, agriculture, viticulture dans la Valteline et dans le Tessin).
Inversement, dans l'imaginaire populaire, l'économie pastorale reste un univers emprunt de poésie, inchangé et immuable. Son histoire millénaire corroborerait l'affirmation selon laquelle les Alpes seraient " un espace fondamentalement imperméable aux changements " (Zurfluh). Or l'économie pastorale n'est nullement restée en marge de l'innovation, au contraire, principalement durant ces quarante dernières années, elle en a tiré des avantages considérables, même si cela s'est fait en douceur, sans éclats.
L'innovation législative, à partir des années soixante-dix, a permis à l'économie pastorale d'évoluer, de prendre pied dans le monde contemporain et l'innovation technologique (clôtures électriques, trayeuses, etc.) ; elle a aussi permis une amélioration de la gestion avec une augmentation de la production tout en réduisant la fatigue physique des hommes.
Mis en regard l'un de l'autre comme réalités alpines, ces deux mondes opposés montrent que les Alpes n'ont pas pu - ni hier, ni aujourd'hui - rivaliser avec la plaine en termes de productivité. Pour autant, ils peuvent et doivent garantir - en investissant dans une innovation responsable, liée au territoire - une meilleure qualité non seulement des produits mais aussi de leur processus de production en valorisant les caractéristiques propres à la montagne, au premier rang desquelles figurent les ressources humaines et naturelles locales.

Les conférenciers principaux de ce bloc : Andrea Finger-Stich, l'École d'Ingénieurs HES Lullier/CH, Andrea Macchiavelli, Bergamo/I, Ronald Würflinger, Weltkulturerberegion Wachau/A, Isabelle Mauz, Cemagref/F, Michel Sommier, Parc national des Ecrins/F, Luigi Lorenzetti, LabiSAlp/CH, Jean-Pierre Legeard, Centre d'Études et de Réalisations Pastorales, Alpes Méditerranée/ F
Mots-clés associés : Société, culture, Mesures de soutien