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Point de vue : Préserver les paysages alpins pour un développement maîtrisé
Jusqu’à présent, j’étais convaincue que les gens partaient en montagne pour s’y ressourcer, remettre en ordre leurs pensées dans le calme, chercher de nouvelles perspectives et profiter de la beauté de la nature. Or, le touriste moyen semble être aujourd’hui avant tout à la recherche de nouveaux motifs photographiques.
L’humilité et le respect de la nature, dans laquelle nous ne sommes que des hôtes de passage, cèdent la place de manière insidieuse aux représentations et aux normes urbaines. Aujourd’hui, les visiteur·euse·s des refuges ne veulent pas seulement un hébergement, mais aussi des services. Ils ne s’interrogent pas sur la consommation d’eau, l’énergie nécessaire, les nuisances engendrées par le trafic, l’élimination des eaux usées ou les déchets abandonnés sur place. Cette évolution se répercute également dans la stratégie touristique slovène, où l’on peut lire entre autres : « De nouveaux segments de consommateurs en forte progression transforment la manière dont les gens voyagent et expérimentent leurs destinations. »
Fin 2020, on a appris l’existence d’un projet qui accentuerait encore plus la pression sur les paysages de montagne : l’agence slovène de l’environnement prévoyait d’électrifier le refuge de la Kredarica. Situé en dessous du sommet du Triglav, ce refuge abrite depuis plus de 60 ans une station météorologique à 2515 m d’altitude. L’alimentation électrique est assurée actuellement par un générateur diesel, des capteurs solaires et des turbines à vent.
La pose de conduites souterraines entraînerait une intervention massive dans ce territoire de montagne protégé et fragile. Le tracé prévu pour les canalisations affecterait un site Natura 2000 et des forêts protégées des Alpes juliennes. Au regard de l’afflux croissant de touristes, l’électrification du refuge permettrait de prolonger la saison, augmentant ainsi la pression sur ces montagnes déjà menacées. Le Triglav est indissociablement lié à l’identité slovène. Il joue un rôle symbolique majeur, car sa silhouette est représentée sur le drapeau slovène. Si l’on décide de lancer un chantier dans le massif du Triglav, il faut aussi tenir compte de l’importance de ce territoire de montagne.
Le projet d’électrification du refuge de la Kredarica est aujourd’hui stoppé, mais n’a pas été abandonné. Il fait pourtant office de signal d’alarme, qui nous rappelle la nécessité de planifier l’aménagement de la montagne de manière plus coordonnée, et surtout plus durable. Pour réagir à cette menace, CIPRA Slovénie a organisé un cycle de conférences, afin d’engager avec des jeunes et des expert·e·s une réflexion sur l’alpinisme, le tourisme durable et la capacité des paysages alpins. L’action « Feux dans les Alpes » est placée pour cette raison cette année sous le signe de l’avenir de nos montagnes. Le rôle essentiel que jouent les paysages non aménagés pour le bien-être général et pour la nature alpine est également mis en exergue dans un document de position sur les paysages alpins, élaboré conjointement par toutes les représentations nationales de la CIPRA. Le suraménagement des Alpes doit enfin s’arrêter, et s’arrêter maintenant.