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« Nous vivons dans un monde de microbes »

26/08/2021 / Michael Gams, CIPRA International (entretien) et Carlos Blanchard (photos), Innsbruck (Autriche)
Ils teintent les glaciers en rouge et donnent leur arôme typique aux fromages de montagne : selon Heribert Insam, nous ne pourrions pas vivre sans l’impressionnante diversité des micro-organismes. Le microbiologiste rêve de créer un centre alpin dédié à ces organismes infiniment petits.
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Heribert Insam explique l’influence des algues des neiges et des champignons anaérobies sur la vie dans les Alpes. © Carlos Blanchard

Monsieur Insam, parlons de la vie dans les Alpes. Qu’est-ce qui vous vient en premier à l’esprit ?

Je suis microbiologiste, mais aussi skieur de randonnée. Le premier organisme vivant auquel je pense, c’est donc Chlamydomonas nivalis, une algue qui teinte soudain en rouge les glaciers et les champs de neige au printemps, lorsque les rayons du soleil s’intensifient. On pense en général qu’il s’agit de poussière du Sahara, mais la plupart du temps, c’est elle qui est à l’origine de ce phénomène. Elle s’étend très rapidement, et nous montre qu’il y a de la vie jusque sur les champs de neige. L’eau gelée est souvent considérée comme un milieu inerte, mais ces organismes ont la capacité de se développer à la surface du manteau neigeux.

Comment ces micro-organismes peuvent-ils survivre dans un tel environnement ?

L’essentiel est qu’ils parviennent à survivre au gel et au dégel. Le principal problème est le dégel. En fondant, les cristaux de glace qui se sont formés à l’intérieur des cellules peuvent endommager les cellules ou leurs membranes. Les cellules ne peuvent alors plus contrôler les flux de protons et meurent. Les organismes qui survivent au gel et au dégel ont des mécanismes de protection très particuliers. Il peut s’agir aussi d’états permanents, comme dans le cas des spores.

Tout le monde ne sait pas exactement ce qu’est un microbe. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

À l’institut, lorsque nous parlons de micro-organismes, nous pensons essentiellement aux bactéries et aux champignons. Mais il y a également les archées. Ces micro-organismes unicellulaires, anciennement appelés archéobactéries, ont longtemps été considérés comme des bactéries, mais n’en sont pas. Les archées peuvent vivre dans des milieux extrêmes, par exemple au fond des océans, et survivre jusqu’à 120 °C. Certaines d’entre elles, dites psychrophiles, affectionnent aussi les milieux froids. On les trouve dans les Alpes en haute altitude.

Pourquoi avez-vous commencé à vous intéresser aux microbes ?

Après mes études de botanique, j’ai commencé une thèse. Malheureusement, les 3 000 clones d’épicéas de haute altitude que je voulais étudier ont été détruits par des parasites, et je n’ai pas pu les remplacer rapidement. On m’a alors proposé par hasard de participer à un projet de recherche sur la revégétalisation des pistes de ski. Nous avons travaillé sur un déchet de l’industrie pharmaceutique, des champignons utilisés pour la production d’antibiotiques. De nombreuses expériences ont été réalisées en laboratoire et sur le terrain pour tester leur utilisation comme engrais et améliorer leurs propriétés. Ces micro-organismes ont ensuite été utilisés pour revégétaliser des pistes de ski à près de 3 000 m d’altitude. Le sol s’est consolidé en quelques jours. Cela a permis à des herbes qui poussent relativement lentement de prendre racine, et d’atténuer ainsi l’érosion.

La diversité des micro-organismes m’a toujours fasciné. Sans eux, il n’y aurait pas de vie : le cycle des matériaux n’existerait pas, et la vie s’arrêterait à un moment ou à un autre. Tous les organismes supérieurs, y compris les humains, sont constitués de micro-organismes organisés en systèmes complexes. Les micro-organismes sont les premiers êtres vivants apparus sur la Terre.

Les virus comme le SARS-CoV-2 sont-ils aussi des microbes ?

Les scientifiques ne sont pas d’accord à ce sujet. Certain·e·s microbiologistes considèrent que les virus sont de simples molécules, d’autres qu’il s’agit d’êtres vivants à part entière. Lorsqu’on travaille sur les bactéries ou les champignons, on ne peut de toute façon pas faire l’impasse sur les virus. Dans le cas du coronavirus, nous avons lancé à l’institut un grand projet sur les eaux usées. Nous étudions la présence de ce virus dans les conduites qui mènent aux stations d’épuration, et pouvons détecter ainsi les foyers d’infection.

Un projet de recherche suisse a découvert dans le pergélisol et les glaciers des micro-organismes jusqu’ici inconnus. Que va-t-il se passer lorsque ces microbes seront libérés à la fonte des glaciers ?

Je ne crois pas que nous devons avoir peur de ces micro-organismes inconnus. Ils ont déjà été libérés plusieurs fois dans le passé lors de la fonte des glaciers, et existent probablement dans d’autres habitats. Je ne suis pas inquiet. Nous vivons dans un monde rempli de microbes, et notre système immunitaire est en général capable de leur résister. Et bien sûr, les micro-organismes libérés des couches anciennes des glaciers sont une source précieuse d’informations. Ils permettent de déduire l’existence d’anciennes communautés végétales, ou de tirer des conclusions sur la faune présente autrefois dans la région. C’est un domaine que la science commence juste à explorer.

Vous travaillez entre autres sur la gestion des ressources microbiennes, et donc sur la manière de mieux utiliser les micro-organismes. Pourquoi ?

Par exemple pour la production de biogaz. On peut produire du biogaz à partir, entre autres, de biodéchets ménagers ou de déchets agricoles tel que les résidus de paille ou de maïs. Les bactéries et les champignons décomposent la cellulose du bois en sucres et en acides organiques que les archées transforment ensuite en biométhane. La première étape de ce processus est appelée hydrolyse. Seuls quelques organismes peuvent la réaliser sans oxygène, par exemple des champignons anaérobies, que nous essayons aujourd’hui de développer dans les unités de méthanisation. Dans la nature, on trouve ces champignons dans l’intestin de ruminants tels que ceux qui vivent dans les Alpes. Les animaux de haute montagne – chamois, bouquetins, mais aussi certains oiseaux – mangent en effet une grande quantité de fourrages grossiers tels que la paille ou le foin. Nous cherchons à cultiver ces champignons présents dans leur intestin pour les utiliser dans la fabrication de biogaz.

On utilise aussi des micro-organismes pour fabriquer certains aliments comme le fromage. Quel rôle jouent ici les microbes ?

Les microbes décomposent le sucre en acide lactique : c’est la première étape de la fabrication du fromage. Ils développent également les arômes. En fonction du lieu où elle se trouve, chaque fromagerie dispose de son propre cocktail de micro-organismes. Dans le cas de l’emmental avec ses gros trous ronds, ce sont par exemple des propionibactéries qui contribuent à la formation des arômes et des gaz de fermentation. La qualité du fromage dépend aussi très fortement de la nourriture des vaches ou des brebis, qui modifie le microbiote du lait. Le lieu où le fromage est affiné joue également un rôle. L’environnement a une très grande influence.

Ces exemples permettent de bien comprendre le rôle des micro-organismes, y compris pour des néophytes. Un de vos projets concerne la transmission de savoirs, une sorte de zoo pour microbes. Comment cette idée est-elle née ?

Je suis allé il y a environ quatre ans à Amsterdam, où j’ai visité Micropia, le tout nouveau musée du zoo d’Amsterdam dédié aux microbes et aux micro-organismes. Cette exposition m’a fasciné, y compris par son aspect esthétique. Je me suis dit que ce serait formidable de faire la même chose à Innsbruck, mais de manière plus axée sur les Alpes. Les trois disciplines principales de la biologie sont la botanique, la zoologie et la microbiologie. Les botanistes disposent d’un jardin botanique à Innsbruck, les zoologistes ont un zoo alpin. Il manque encore un lieu pour les microbiologistes. J’ai continué à réfléchir à cette idée, et j’ai essayé de convaincre mes collègues. Nous sommes allés ensemble visiter Micropia à Amsterdam, et avons développé un projet de centre similaire à Innsbruck. Un calendrier précis a déjà été défini pour la réalisation de ce « Mikrobalpina » ou « MicroMondo », deux noms provisoires pour le centre. Actuellement, des pourparlers sont en cours avec la société Hollu à Zirl (Autriche), une entreprise qui propose des systèmes d’hygiène et qui a placé les objectifs de développement durable des Nations unies (ODD) au cœur de sa stratégie. Cela correspond bien à notre projet. La société va construire un nouveau siège en 2022, et nous espérons qu’elle nous y proposera des locaux pour abriter notre centre.

À première vue, les humains ont peu de points communs avec les microbes. Que pouvons-nous malgré tout apprendre de ces micro-organismes ?

Du point de vue scientifique, la diversité augmente la résilience. Cela signifie que la diversité des micro-organismes permet aux communautés microbiennes de mieux réagir face à des défis inédits. C’est une qualité dont nous pourrions éventuellement nous inspirer.

Un spécialiste de l’infiniment petit

Heribert Insam dirige le groupe de travail pour la gestion des ressources microbiennes à l’université d’Innsbruck (Autriche). Ses recherches portent sur l’écologie microbienne, la microbiologie des sols, l’utilisation des micro-organismes pour l’épuration des eaux et les biotechnologies environnementales en général. L’un de ses projets est la création d’un centre scientifique destiné à donner une visibilité au monde invisible des micro-organismes, et à expliquer, de manière compréhensible par tous, l’importance des microbes pour la vie dans les Alpes et au-delà.

www.mikrobalpina.org

Mots-clés associés : Alpenscène, Biodiversité, Recherche, science