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Du transport à la demande avec "Dorfmobil Klaus" à la renaissance du chemin de fer Merano-Mals - Les formes de mobilité douce encouragent le tourisme dans les régions reculées

20/03/2007 / Swantje Strieder
Les gros problèmes liés au transit alpin occupent la première place dans les médias. Mais on oublie souvent que plus des deux tiers du trafic dans les Alpes sont le fait de la population alpine. Le groupe d'expert-e-s s'est penché sur la question des alternatives à ce trafic.
Image caption:
Werfenweng est une localité modèle en Autriche dans le domaine de la mobilité douce, on y pratique vraiment le tourisme sans voiture. Le parc de véhicules verts comprend des voitures électriques, des scooters électriques qui ont la faveur des jeunes, des véhicules au gaz, des calèches à cheval et des bus navettes.
Un raccordement optimal aux voies de communication est considéré par de nombreux politiques et décideurs/décideuses comme la condition sine qua non d'un développement économique positif, de la création d'emplois et du tourisme. Cependant, les nuisances résultant du trafic routier sont considérables : le bruit et les gaz d'échappement ont pris une ampleur insensée, en particulier sur les itinéraires de transit à travers les Alpes, et de nombreuses personnes habitant sur ces axes routiers souffrent de stress et de maladies psychosomatiques. Le transfert du trafic grandes distances de la route au rail est donc un des objectifs principaux de la Convention alpine. La Convention cadre a été signée en 1991, mais de nombreux habitant-e-s des Alpes sont sceptiques quant à la possibilité d'atteindre même en partie cet objectif dans un délai plus ou moins proche.

Le trafic touristique et professionnel au cœur du débat
Même s'il représente un problème sérieux, le trafic de transit ne constitue toutefois que 8% du trafic total car il se concentre sur un petit nombre de passages alpins. Le trafic dû au tourisme et aux excursions est, quant à lui, responsable de 20% du trafic total. Le trafic intra-alpin représente la part la plus importante du trafic alpin, soit 72%. Le groupe d'expert-e-s mandaté pour l'étude de la CIPRA a donc d'abord choisi de ne pas se focaliser sur le trafic de transit, mais sur les conséquences du trafic touristique et professionnel et il s'est efforcé de dégager des perspectives pour résoudre les problèmes de transport dans les Alpes. L'équipe s'est concentrée sur quatre questions :

o Quel est le rapport entre mobilité et développement régional ?

o Quels sont les autres facteurs qui peuvent être importants pour le choix d'un lieu ?

o Quelles sont les caractéristiques des alternatives écologiques en matière de transport ?

o Comment développer une sensibilité en faveur de solutions durables aux problèmes de transport ?

La formule magique dans le jargon spécialisé, c'est l'accessibilité. Elle représente le nombre d'occasions de nouer des contacts économiques et personnels, le potentiel envisageable de consommateurs et de clients ou le choix en offres de services. Le nombre d'habitant-e-s atteignables en constitue un bon indicateur. L'accessibilité moyenne (obtenue en mesurant le nombre d'habitant-e-s que l'on peut atteindre dans un délai de trois heures) a par exemple été multipliée par trente en Autriche depuis 1830, avec le développement des systèmes de transport. Les projets européens de transport sur de grandes distances par le col du Brenner, du Lötschberg et du Simplon, du Gothard, du Mt-Cenis et du St-Bernard, et les vols à prix avantageux vont encore permettre de doubler cette accessibilité moyenne entre 1995 et 2020. Le développement de l'économie et de la prospérité au cours des 150 dernières années est étroitement lié à l'accroissement de l'accessibilité. Dans le développement régional, l'accessibilité est donc considérée comme la panacée. On oublie souvent que son effet peut être très différent selon les régions et qu'il n'y a pas que des gagnants. Les disparités régionales peuvent se renforcer. Dans le futur, l'écart entre agglomérations urbaines et régions rurales reculées pourrait encore se creuser. En effet, les agglomérations urbaines vont agrandir leurs aéroports pour de nouvelles lignes bon marché et développer leurs gares pour les nouveaux trains à grande vitesse, autant d'investissements dans l'accessibilité interrégionale qui n'ont qu'un intérêt limité pour les régions isolées. Une comparaison entre régions alpines illustre cette grande différence en matière d'accessibilité : les habitant-e-s des cinq agglomérations du nord de l'Italie, situées à proximité des Alpes que sont Novare, Brescia, Vérone, Vercelli et Varese, ont cent fois plus d'occasions dans un délai de trois heures que ceux des cinq régions alpines particulièrement reculées que sont Ravne na Karoskem/Sl, le Vaucluse/F, la vallée supérieure de l'Inn/A, les Hautes-Alpes/F et le Val Müstair/CH. Un bon raccordement aux voies de communication peut amener une croissance économique mais il n'en est pas une garantie. La moitié environ des communes alpines se plaignent d'une stagnation économique malgré de bonnes infrastructures. Dans le domaine du tourisme, le deuxième secteur économique des Alpes, l'accessibilité semble souvent jouer un rôle secondaire. Il existe des régions tout à fait florissantes et mal raccordées aux voies de communication et des régions à l'économie stagnante dotées d'excellentes infrastructures, comme le montre une étude Regalp réalisée en 2004:
Les régions caractérisées par une forte croissance économique malgré un mauvais raccordement aux voies de communication et une accessibilité défavorable présentent un intérêt particulier.

On peut donner comme exemples de ce type de régions:
o En Autriche : centre de la Carinthie, la région de Steyr en Haute-Autriche
o En France : centres locaux et régionaux des Alpes Provençales et des Alpes Maritimes.
o En Italie : Sondrio

Une bonne accessibilité n'est pas la panacée
Une bonne infrastructure de transport et une accessibilité élevée ne constituent pas la garantie d'un important développement économique, comme le montrent par exemple les régions suivantes qui présentent un développement économique faible malgré une accessibilité élevée :
o En Autriche : les vallées latérales du Wipptal (avec l'autoroute du Brenner)
o En Suisse : l'Emmental, la région de Brienz, Conches et les secteurs situés plus haut en altitude au sommet de la vallée du Rhône, en Valais
En Italie : toute la partie sud-ouest des Alpes italiennes (Alpes Cottiennes et liguriennes) avec le Valle di Lanzo, la vallée du Po, le Valle Varaita, le Valle Maira et le Valle Stura ; mais aussi, le Valle d'Ossola et les régions d'altitude environnant le lac de Côme et le lac de Garde.

L'une des difficultés majeures de l'aménagement du territoire réside dans l'évaluation des conséquences économiques et sociales qu'auront même des projets de transport durables. L'étude de la CIPRA mentionne le cas du tunnel de la Vereina, en Suisse, inauguré en 1999 et considéré alors comme une liaison par train autocouchettes et par train de voyageurs particulièrement moderne et écologique. Ce tunnel de 19 kilomètres de long pour chemin de fer à voie étroite relie Klosters à Zernez et Sagliains en Basse-Engadine et il a réduit le temps de déplacement en train au départ de Zurich de 4 heures à 2 heures 30 minutes. Le bilan est néanmoins décevant car le système de ferroutage a certes amené beaucoup de clients au rail mais il n'a pas réduit le trafic individuel. Si le transport de marchandises s'est en partie déplacé sur le rail, le trafic sur les routes environnantes n'a pas diminué. Les valeurs atmosphériques ont connu une légère amélioration ; toutefois cela ne tient pas au tunnel ferroviaire mais à l'introduction de dispositions plus sévères sur le plan international pour les gaz d'échappement émis par les voitures. Le tourisme profite été comme hiver d'un accroissement du nombre de visiteurs à la journée et de séjours de week-end. Cela a créé de nouveaux emplois dans la restauration et l'hôtellerie. Dans les régions reculées de la Basse-Engadine, on n'enregistre toutefois pas d'augmentation du nombre des hôtes. Dans d'autres secteurs économiques comme la construction, on ne constate pas non plus d'essor particulier. Le seul accès plus rapide ne semble donc pas un élément clef de la croissance économique : il n'attire pas de nouvelles entreprises et d'employeurs potentiels en l'absence de main d'œuvre et d'autres conditions locales favorables, offertes par une ville ou un centre urbain secondaire.

Dans les régions périphériques, en particulier, une amélioration exclusive de l'accessibilité peut avoir pour conséquence que l'économie régionale existante est soumise à une concurrence plus âpre et que les petites entreprises qui y travaillent depuis longtemps ne peuvent se maintenir face à la concurrence excessive de l'extérieur.

En résumé, on peut dire qu'un meilleur raccordement interrégional aux voies de communication a certes aussi des incidences positives pour les régions moins riches mais qu'il n'abolit en aucun cas leurs différences par rapport aux agglomérations et a plutôt pour effet de les accentuer. Au niveau régional aussi, l'amélioration de l'accessibilité a des effets secondaires problématiques. Les formes d'implantation de l'habitat se modifient : les communes avec un centre bien marqué se diluent jusqu'à former des zones d'habitation étendues. La tendance fatale à l'implantation anarchique des constructions se poursuit, la dépendance par rapport à la voiture s'accroît. Tandis qu'on construit de nouveaux centres commerciaux en rase campagne, les centres-villes et le cœur des localités se dépeuplent et dépérissent. Les gaz à effet de serre dus au trafic continuent d'augmenter, la charge en poussières fines est souvent supérieure à la moyenne, en particulier dans les vallées de l'intérieur des Alpes et la "pollution sonore" monte jusqu'aux alpages.

Pour des solutions à petite échelle dans le domaine des transports
En résumé, les auteurs de l'étude aboutissent aux conclusions suivantes :

o A l'avenir, des secteurs des Alpes tireront aussi profit de leur situation centrale en Europe et du développement des Réseaux de transport transeuropéens.

o Les grandes différences régionales sur le plan de l'accessibilité dans les Alpes vont se maintenir durant les prochaines décennies. La présence de tronçons à grande vitesse et le développement des aéroports - tous deux présupposent une bonne infrastructure aux points de jonction -, pourraient creuser encore l'écart entre régions facilement et difficilement accessibles.

o Pour les régions périphériques, le développement exclusif des raccordements aux voies de communication peut même aggraver les problèmes en accroissant la concurrence avec des régions fortes. Il s'agit donc de tirer des enseignements de ces régions qui présentent un développement positif de leur économie régionale malgré une accessibilité défavorable.

o Ce sont moins les projets supranationaux qui sont décisifs pour le développement régional que les projets de transport à petite échelle et une politique d'aménagement du territoire qui contribue à offrir aux régions périphériques des emplois, des possibilités d'achat, des établissements de loisirs, des institutions culturelles et des établissements de soins.

o Les politiques ont besoin de meilleurs instruments au niveau de la planification des transports et de l'aménagement du territoire pour pouvoir mettre fin au développement débridé des agglomérations et à la construction anarchique de centres commerciaux au beau milieu de la campagne.

Sur la base des résultats de cette étude, la CIPRA adresse les revendications concrètes suivantes aux acteurs et actrices de la politique et de l'économie :

o Il convient d'étudier scientifiquement les facteurs de succès des régions qui ont connu un essor économique sans développement coûteux des systèmes de transport et d'examiner la possibilité d'appliquer leurs stratégies à d'autres régions.
o Plutôt que de compter sur une amélioration de l'accessibilité, il convient d'examiner si elle n'amènerait pas de nouveaux problèmes économiques, comme par ex. une concurrence accrue pour la région, en plus d'impacts négatifs pour l'environnement.
o La promotion de la mobilité écologique doit être au centre de la politique des transports : cela signifie maintenir les transports publics régionaux et garantir dans la mesure du possible une accessibilité des services publics de base (approvisionnement de proximité, écoles, jardins d'enfants, etc.) sans voiture.
o La promotion touristique publique devrait soutenir le recours à des moyens de transport écologiques pour l'arrivée sur place et les loisirs des visiteurs et visiteuses. Au lieu de se focaliser sur une meilleure accessibilité, on pourrait encourager des initiatives visant à prolonger le séjour des hôtes.

Tirer la leçon de bons exemples
Dans le choix de leurs projets modèles pour des formes de mobilité douce, le groupe d'expert-e-s de la CIPRA a fait référence à des exemples déjà bien connus dans d'autres pays des Alpes mais qui pourraient éveiller un intérêt particulier en France et en Italie où la voiture joue un rôle dominant par rapport aux transports publics de proximité.

1er exemple, Tyrol du Sud (Italie)
www.ferienregion-vinschgau.com, www.eisenbahn.it
La réouverture de la ligne ferroviaire du Vinschgau
La ligne ferroviaire du Vinschgau, au Tyrol du Sud, s'est réveillée en 2005 après plus de dix ans de sommeil. Et tout indique que cette vieille dame qui a fêté en 2006 son 100ème anniversaire, a tout l'avenir devant elle. Il en allait autrement en 1989. Les Ferrovie dello Stato, les Chemins de fer italiens, avaient des projets de désaffectation. Certes, la locomotive à vapeur a encore roulé chaque dimanche pendant deux ans sur le tracé spectaculaire de 60 kilomètres reliant Mals à Merano. Mais comme il n'y en avait plus que pour la voiture entre les vignobles et les pommiers du Vinschgau et que seuls les touristes achetaient encore des billets, la ligne ferroviaire a été abandonnée en 1991. C'est seulement en 1999 qu'elle connut un nouveau départ, après que les Chemins de fer italiens eurent remis le réseau à la province du Tyrol du Sud.

Plus de passagers que prévu
L'ancien tracé est un chef-d'œuvre de l'art des ingénieurs. Néanmoins, ses 61 ponts, 2 tunnels et 54 passages à niveau ont dû être entièrement révisés après leur longue désaffectation et les systèmes de sécurité complètement rénovés. Le rétablissement de cette ligne de chemin de fer construite en 1906 n'est pas une marotte de nostalgiques, mais il constitue un investissement intéressant. Un an après sa remise en service, le Vinschger Bahn compte déjà 100'000 passagers par mois, plus que ce qu'espéraient les promoteurs du projet. Le temps de déplacement entre Mals et Bolzano est désormais presque aussi court qu'en voiture - le stress et les bouchons en moins.

2ème exemple, Haute-Autriche
Dorfmobil Klaus

Les habitant-e-s de la commune l'appellent "notre Klaus". Il ne s'agit pas d'un personnage particulièrement populaire mais d'un véhicule à la disposition des habitant-e-s de Klaus, en Haute-Autriche. On aurait aussi pu le baptiser Steyrling ou Kniewas, du nom des quartiers éloignés de Klaus. Ce minibus de six places fonctionne comme un taxi depuis 2003, à cette différence près que c'est un groupe de volontaires qui le conduit. Ce service a été mis sur pied pour répondre aux besoins de la population : chaque habitant et chaque habitante doit se rendre de temps à autre chez le médecin ou le curé, au centre communal, au jardin d'enfants ou au supermarché. On appelle, on convient d'une heure et quelqu'un vient nous chercher à la maison ou à l'arrêt de bus le plus proche.

Flexible comme un taxi, mais accessible à tous
Le trajet coûte 1,50 euro, grâce à d'importants dons et contributions. En fait, chaque passager devrait payer 5 euros environ à l'association Dorfmobil. Le land de Haute-Autriche subventionne notamment le projet. L'Institut für Verkehrswesen de l'Université de Vienne a fourni une première aide ; un soutien est également venu de fonds de l'UE. Malheureusement Klaus est resté un cas à part dans l'univers compliqué des dispositions légales : il constitue certes une institution d'utilité publique mais il ne peut souscrire une assurance comme un taxi ou une entreprise privée de transport. En cas d'accident, les questions de responsabilité ne sont pas réglées. Ce sont là des "détails" bureaucratiques qui peuvent faire échouer un projet tel que celui-ci. Le land n'a pas encore décidé s'il continuerait à soutenir le Dorfmobil. Les habitant-e-s espèrent que Klaus va rouler encore de longues années.

3ème exemple, land de Salzbourg (Autriche)
www.werfenweng.org, www.alpsmobility.net
(lauréat du prix Avenir dans les Alpes de la CIPRA en 2005
Werfenweng - promotion de la mobilité douce dans un village
A Werfenweng, l'avenir a déjà commencé - dans la joie et la bonne humeur comme le promet cette petite commune du land de Salzbourg sur son site Internet. Werfenweng se trouve à 900 mètres d'altitude au sud du massif du Tennengebirge et possède tout ce que peuvent souhaiter des touristes : un paysage de livre d'images, des auberges confortables et surtout un environnement préservé. Werfenweng est une localité modèle en Autriche dans le domaine de la mobilité douce, on y pratique vraiment le tourisme sans voiture. Personne n'est forcé de laisser sa voiture mais tout est fait pour donner aux vacanciers et vacancières l'envie d'échanger leur clef de voiture contre la clef SAMO.
Scooters électriques et calèches
SAMO est l'acronyme de "SAnfte MObilität" (mobilité douce, en allemand). Ce forfait écologique permet d'utiliser tous les moyens de transport alternatifs de la commune. Font partie de ce parc de véhicules, des voitures électriques, des scooters électriques, des véhicules au gaz, des calèches à cheval et un bus navette. Presque 80% des hôteliers de la localité collaborent à l'action SAMO, de nombreux indigènes jouent le jeu et n'utilisent plus leur voiture que pour de longs trajets. La "Remotion", la Conférence pour des technologies de transport et des concepts de mobilité écologiques, a eu lieu à Werfenweng en 2004. Plus de 30 excursions scolaires et séminaires spécialisés ont suivi. Ces efforts ont porté leurs fruits : les nuitées ont augmenté de 29% depuis 1997. Le nombre de visiteurs et visiteuses venus en train a quadruplé depuis 1997, passant à 28%. 8500 personnes qui choisissent de prendre le train, cela signifie env. 4,5 millions de kilomètres qui n'ont pas été parcourus en voiture, soit une économie de 365'000 litres de carburant.