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Cultiver des bananes sur le Piz Palü

08/04/2013 / CIPRA Internationale Alpenschutzkommission
Il est important d’être enraciné. C’est pourquoi les représentant-e-s de la CIPRA sont partis en randonnée à travers les Alpes sans se soucier des frontières. Une sorte de «Longue Marche » pour élargir le réseau et dont on peut même suivre la trace sur Facebook.
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Alpine Power presse le pas dans le Valmalenco : la déviation mène parfois plus vite au but que le chemin direct. © Heinz Heiss/Zeitenspiegel Reportagen
La vallée est maintenant en-dessous d’eux, encadrée de montagnes, à la fois immobile et vivante : les haies dessinent un patchwork de prairies et de champs autour de la petite localité de Poschiavo et de ses 3600 habitants. Une heure plus tôt, ils étaient encore assis dans ses vieux murs après des jours de discussion sur le thème des «Alpes renouvelables» à la SemaineAlpine 2012. Avec des amis de la CIPRA, ils veulent à présent voir vraiment les Alpes de plus près, entrer en contact et parler avec ceux qui y habitent, de leurs problèmes, de leurs expériences et de leurs idées. Et méditer tout en marchant.
Un homme de haute taille, aux sourcils broussailleux et coiffé d’un béret, parle avec enthousiasme : «Le Val Poschiavo est pour moi l’une des vallées les plus intéressantes des Alpes» ; c’est Dominik Siegrist, Président de CIPRA International et guide, pour cette étape, du groupe de huit randonneurs. C’est une journée fraîche et ensoleillée. Pour son soixantième anniversaire, la CIPRA a lancé la randonnée Alpine Power afin de renforcer et d’élargir son réseau en traversant toutes les frontières depuis la Slovénie jusqu’en France, en plusieurs étapes de juillet à octobre. Chaque étape est organisée par la représentation nationale correspondante et accompagnée sur Facebook.
Barbara Ehringhaus, présidente de l’organisation Pro-Mont-Blanc, souligne la vie paradoxale d’une protectrice des Alpes : «Depuis que je m’engage, je passe des heures devant l’ordinateur et trouve à peine le temps de randonner.» Dominik Siegrist marche à pas longs et réguliers, tranquillement cadencés par ses bâtons de marche. «La randonnée est pour moi la découverte de la lenteur», dit-il. «Cela me donne de nouvelles idées.» Il a une grande carte chez lui, où sont indiqués tous les itinéraires qu’il a un jour parcourus à pied. On dirait une toile d’araignée géante étalée sur les Alpes. Ce qu’il a vécu et observé enrichit sa connaissance des régions et de leurs habitants, qu’il transmet à ses élèves de la Hochschule für Technik de Rapperswil où il est professeur en tourisme. «Il faut apprendre à lire le paysage», dit-il en haussant les sourcils et en montrant les innombrables pierres disposées avec art à ses pieds. «Ceci est par exemple un ancien chemin muletier utilisé pendant des siècles par les paysans pour mener leurs vaches aux mayens, comme étape intermédiaire sur le chemin de l’alpage», explique Dominik Siegrist, «un élément typique du paysage rural traditionnel des Alpes du Sud.» Bon nombre de ces chemins sont à l’abandon, d’autres - comme celui-ci - sont redécouverts grâce au tourisme doux de randonnée.

Protection des Alpes à tout bout de champ
Une demi-heure plus tard, le groupe atteint en effet le mayen, un assemblage de maisons de pierre avec volets rouges et pots de géraniums, des voitures immatriculées dans les Grisons garées devant la porte, des antennes paraboliques sur les murs. Les prés sont fraîchement fauchés, couronnés de deux chapelles. Les derniers rayons du soleil caressent la crête montagneuse d’en face. Un militant de Mountain Wilderness et un géographe d’Erlangen se joignent au groupe. La première chose affichée sur Facebook pour cette étape : une photo de groupe.
Tout au début de la série Facebook d’Alpine Power, on peut voir Bruno Stephan Walder, le nouveau directeur de CIPRA International, parcourant la Logartal à vélo avec des collègues de CIPRA Slovénie et discutant avec les maires. Sur le Hoher Ifen en Bavière, le groupe Alpine-Power a participé à une manifestation contre la construction d’un nouveau téléphérique. On a observé une minute de silence au sommet, déployé des bannières et publié les revendications sur Facebook. Avec succès : en octobre 2012, les habitants de la Kleinwalsertal ont refusé la construction de ce téléphérique par référendum. Après trois randonnées convergentes au Liechtenstein, l’étape de CIPRA Suisse prit immédiatement le relais : par le col de Saint-Luzisteig à travers tous les Grisons jusqu’à Poschiavo, d’où démarrait le groupe de randonneurs accompagné par Dominik Siegrist.
Le lendemain matin, le guide Dominik Siegrist annonce : «Il nous faut exactement trois heures et demie pour arriver au Col de Cancian, avec près de 1200 mètres de dénivelé». Au bout de deux heures, la végétation se raréfie, seuls des lichens colorent le gris des rochers et des éboulis. Le Piz Palü se voile derrière les nuages. Une grande arche en bois marque la frontière sur le col de Cancian à 2498 mètres. Les rochers du versant italien ressemblent à ceux du versant suisse. Mais pour la protection des Alpes, la frontière joue un rôle important comme le montrent les rencontres faites en chemin. La première : sous le col, Ruggero Spada, élancé, boucles noires, militant de Legambiente Valtellina, se joint au groupe. Il veut montrer aux visiteurs une « alpe sana », un alpage sain. En jeans, il court d’un pied léger dans un paysage féérique de rochers aiguisés par les glaciers et de bosquets de pins. Dominik Siegrist veut savoir ce qu’a donné la pétition pour le sauvetage du Parc National du Stelvio, qu’il avait, lui aussi, signé il y a cinq ans. « Le projet est en panne », dit Ruggero Spada. Selon lui, le gouvernement de Silvio Berlusconi ne s’est nullement intéressé aux requêtes des associations de protection de l’environnement. Le changement de pouvoir peut redonner de l’espoir. Mais il y a également trop peu de soutien de la part de la population locale qui ne s’identifie pas aux montagnes : «Les gens ne regardent que vers Milan, les jeunes y vont pour sortir et faire leurs études.»

Fromage et saucisson pour l’étude
Ruggero Spada est d’autant plus heureux de pouvoir nous montrer un exemple d’identité régionale aussi réussi que l’alpage Acquanera. La petite maison de pierre est blottie dans la pente. Andrea, l’alpagiste, nous accueille d’une solide poignée de main et de sa voix forte. Sa chevelure sombre se dresse avec bonne humeur. Des chiens de berger battent de la queue autour des jambes des randonneurs. Andrea nous sert du saucisson, du fromage de montagne savoureux et du vin rouge fruité de sa propre production biologique, «sans sucre, sans sulfates». Bruno Stephan Walder goûte et déclare le saucisson «ottimo!» – le plaisir suprême. Andrea présente fièrement sa fromagerie : une pièce noire de suie avec un énorme chaudron en cuivre sur le feu.
La famille d’Andrea gère cet alpage depuis cinq siècles. Il a quant à lui été conducteur de poids lourds pendant des années. Mais la montagne l’appelait. Il a osé l’aventure économique de l’alpage et n’a jamais regretté ce pas : «mon troupeau de vaches est passé de huit à trente bêtes. Les clients ne veulent pas de marchandises du supermarché et acceptent des prix plus élevés.» Cela lui permet de financer les études de ses deux enfants. Il se sent conforté dans son choix de vie économique par Alpine Power : «Je fabriquerai un fromage sur lequel Forza Alpina sera inscrit.»
La nuit tombe, les randonneurs doivent se hâter. «Un bel exemple, mais pas un style de vie pour tous», estime Dominik Siegrist en redescendant de l’alpage. Plus haut, sur l’alpage Palü, les chalets tombent en ruine, des bâches en plastique recouvrent les trous des toits d’ardoise. Les habitants ne reçoivent presque pas d’argent de la commune pour l’entretien des paysages, la commune ne perçoit guère d’argent de la région, la région beaucoup trop peu de Rome, la capitale. Le message du jour sur Facebook : une photo de maisons de pierre en ruines, une remontée mécanique en arrière-plan et la question aux usagers : «Pour quelles valeurs sommes-nous prêts à dépenser de l’argent ?»

Ensemble vers le sommet
Au dîner à Chiareggio, Giovanni Bettini, président de la Legambiente Valtellina, tient compagnie au groupe. Sourire ironique au coin des lèvres, cet homme de 74 ans a le regard las : «protéger les Alpes en Valteline, c’est comme cultiver des bananes sur le Piz Palü – les chances de succès sont minces.» Les efforts pour sauvegarder le parc national sont infructueux tandis que l’aménagement de cent nouvelles petites centrales hydrauliques a été décidé. Des torrents jusque là naturels doivent être déviés et asséchés. Giovanni Bettini reprend espoir : ces dernières années, les contacts avec les organisations de protection des Alpes dans d’autres pays étaient rares, et le fil nous reliant à la CIPRA très ténu. Cette rencontre a permis à Dominik Siegrist de constater que : «La Legambiente de Valteline est vivante.» Le contact est rétabli – un des nombreux petits succès d’Alpine Power.
Le quatrième jour est tout aussi intéressant. Reto Solèr de CIPRA Suisse, randonneur expérimenté et auteur de plusieurs guides de randonnée est passionné de bivouac à la belle étoile. Bruno Stephan Walder découvre des veines de quartzite rares dans le rocher, qui ressemblent à de la poitrine de porc persillée. Barbara Ehringhaus se lamente auprès de Dominik Siegrist de voir que le Mont Blanc n’est toujours pas reconnu patrimoine naturel mondial par l’UNESCO, en raison surtout de l’opposition des opérateurs touristiques locaux. Dominik Siegrist lui conseille de faire évaluer l’OUV, la valeur universelle du Mont Blanc par des experts mondialement reconnus. «L’UNESCO prend ce genre d’analyse professionnelle très au sérieux.»
Le groupe descend un pierrier, longe le lit asséché de la rivière Orlegna, formé de pierres blanches grosses comme des médecine-balls. La randonnée se termine avant Maloja, au centre de congrès autogéré de Salecina. Une femme de passage prend un bain de soleil sur le banc devant la ferme rénovée en sirotant un cappuccino. Dominik Siegrist, également membre du conseil de la Fondation de Salecina, fait visiter le bâtiment. Sur les étagères de la bibliothèque, plusieurs mètres de littérature régionale. On fera la cuisine et le ménage ensemble plus tard.
Tous sont d’avis qu’en fait, il faudrait encore s’asseoir tous ensemble un moment pour passer en revue les journées partagées. Mais bureaux et réunions exigent la présence des uns et des autres pour la protection des Alpes. Les fils ténus posés durant cette étape d’Alpine Power doivent être raccordés au réseau de la CIPRA. Peut-être même avec un savoureux fromage de montagne portant le nom de «Forza Alpina».

Tilman Wörtz
Zeitenspiegel Reportagen

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Source: Rapport annuel 2012 CIPRA International
www.cipra.org/fr/CIPRA/cipra-international
Mots-clés associés : Sport, Acteurs / Réseaux, Alpinisme