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Point de vue : L’eau ne tolère aucune résistance

24/08/2021 / Kaspar Schuler, CIPRA International
À l’instar d’autres régions du monde, les Alpes sont le théâtre d’événements météorologiques extrêmes de plus en plus fréquents. La crise climatique accélère cette évolution. Pourra-t-on résoudre le problème en construisant toujours plus de digues, plus d’ouvrages de protection, ou plus de centrales électriques pour répondre aux besoins croissants en énergie ? Pour Kaspar Schuler, directeur de la CIPRA et co-auteur de la nouvelle position de la CIPRA sur l’énergie hydraulique, nous devons œuvrer avec la force de l’eau, et non contre elle.
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Kaspar Schuler est directeur de CIPRA International. (c) DarkoTodorovic

Pour beaucoup de gens, la force de l’eau est devenue cette année une menace. Des pluies intenses ont transformé des ruisseaux paisibles en torrents rugissants, qui se sont tracé un nouveau lit avec une violence telle que les ouvrages de protection contre les inondations mis en place le long des cours d’eau se sont révélés impuissants. Des villages et de petites villes en ont fait la douloureuse – et mortelle – expérience lors des inondations dévastatrices de cet été, dans les Alpes et ailleurs. La force de l’eau peut être utilisée pour la production d’électricité, certes. Mais elle peut être aussi ravageuse.

Mais n’étions-nous pas jusqu’ici bien armé·e·s, nous, les habitant·e·s des Alpes, contre la puissance destructrice de l’eau ? Ces forces élémentaires de la nature, cela fait des siècles que nous y sommes confronté·e·s. Malheureusement, nous ne devons pas nous laisser leurrer par un faux sentiment de sécurité. Les climatologues allemand·e·s nous ont mis en garde en juillet : « La plupart d’entre nous n’ont pas encore vécu les véritables phénomènes extrêmes liés au réchauffement climatique d’origine anthropique. Notre expérience individuelle du réchauffement planétaire est en retard de plusieurs années, voire de plusieurs décennies sur la menace réelle. » Nous avançons en quelque sorte à l’aveugle, avec le seul soutien de scénarios climatiques basés sur des calculs.

Bien sûr, nous pourrions continuer à faire ce qui a toujours fonctionné jusqu’à présent. Pour protéger les bâtiments et les infrastructures, nous pourrions construire à coup de béton encore plus d’ouvrages de protection sur les rives et le long des cours d’eau. Nous pourrions ériger encore plus de centrales hydroélectriques dans les montagnes pour assurer l’approvisionnement en énergie. En fonction de leur mode d’exploitation et de leur degré de remplissage, les retenues peuvent contribuer à la régulation de l’eau en cas de catastrophe. Mais ces barrages capteraient les eaux qui arrosent les vallées principales et des territoires plus éloignés. Les conséquences seraient fatales : l’eau est un élixir de vie. Sans le rythme naturel des périodes de crue et d’étiage, sans ripisylves et sans marais riches en espèces, il n’y aurait pas de biodiversité – et nous, les humains, n’aurions bientôt plus assez de nappes phréatiques ni d’eau potable. Nous devons donc changer radicalement d’approche. Il va falloir rendre aux cours d’eau en plaine une partie de leurs anciens espaces naturels, et les élargir pour ralentir leur écoulement en cas de crue, leur enlever leur force destructrice et permettre le dépôt des matériaux transportés. Certains sites devront également être abandonnés, notamment les bâtiments construits dans des zones à risques.

Pour alimenter le débat, la CIPRA a rédigé une position sur l’exploitation de l’énergie hydraulique dans les Alpes. Elle y formule cinq propositions à l’attention des pouvoirs publics et des sociétés d’électricité. Le document fournit également de nombreuses informations de fond et des références, en vue de trouver des réponses argumentées à une question centrale : au vu de la complexité actuelle, jusqu’où peut-on encore développer l’hydroélectricité de manière écologiquement acceptable et dans le respect de l’environnement ? C’est une question que nous devons plus que jamais nous poser dans les Alpes, au-delà des frontières et dans un esprit de coopération. Nous ne pourrons pas maîtriser la force de l’eau, mais nous pouvons l’utiliser avec respect, et devrons désormais composer avec elle.

 

Sources et informations complémentaires : https://fr.wikipedia.org/wiki/Inondations_de_juillet_2021_en_Europe, https://info-de.scientists4future.org/die-flutkatastrophe-im-juli-2021-in-deutschland-und-die-klimakrise/ (de)

Lien vers la position sur l’énergie hydraulique : www.cipra.org/fr/positions/l2019energie-hydraulique-dans-les-alpes