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Le retrait planifié : un nouvel enjeu pour l’aménagement du territoire - Planifier la décroissance

08/06/2010 / Gerlind Weber
La poste a fermé depuis belle lurette, l’épicerie du village a fait faillite, l’école a été transférée dans une agglomération voisine. Pourtant, de nombreuses régions structurellement faibles continuent à miser sur la croissance au lieu de se tourner vers une planification tenant compte des enjeux de la décroissance. Des enjeux auxquels l'aménagement du territoire ne pourra plus se soustraire à l'avenir.
Tristes perspectives : les vieux sont souvent les seuls à rester au village et les maisons tombent en ruine, comme à Bourcet (Val Chisone) dans les Alpes occidentales piémontaises.
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Tristes perspectives : les vieux sont souvent les seuls à rester au village et les maisons tombent en ruine, comme à Bourcet (Val Chisone) dans les Alpes occidentales piémontaises. © Marzia Verona
« Il y a crise quand l’ancien meurt et que le nouveau ne parvient pas à naître. » Ces mots d’Antonio Gramsci, maître à penser italien, nous invitent en temps de crise à ne pas nous concentrer uniquement sur l’amélioration de l’existant, mais à chercher des voies radicalement neuves pour sortir de la crise en ouvrant de nouvelles perspectives.
Sous nos latitudes, les crises écologique et économique actuelles semblent avoir définitivement sonné le glas de l’objectif d’une croissance permanente et omniprésente, désormais considérée comme un mythe dépassé. La croissance est un processus limité dans le temps, et toute croissance naturelle est limitée vers le haut. Dans le sens de Gramsci, nous devons donc accorder à l’avenir beaucoup plus d’attention au phénomène de la décroissance.

Une planification coupée de la réalité
Dans les régions structurellement faibles comme il en existe beaucoup dans les Alpes, les paramètres-clés tels que le nombre d’habitants, l’emploi ou les performances économiques régionales sont en baisse depuis des décennies. Malgré tout, l’aménagement du territoire continue à définir des objectifs de croissance pour le développement régional, au lieu de se résoudre à organiser et accompagner activement les processus de décroissance. L’une des raisons de cette attitude est liée au fait que l’aménagement du territoire se rattache dans ses fondements théoriques aux sciences économiques : les phénomènes de recul sont fondamentalement perçus comme des « échecs systémiques », des dysfonctionnements indésirables sur la voie de la croissance, qui est par principe illimitée. La réticence envers les processus de décroissance est très répandue parmi les acteurs de l’aménagement du territoire. Même si, au niveau régional et local, les décideurs sont parfaitement conscients de ce qu’ils appellent « le recul général du développement », il est hors de question pour eux d’organiser et d’accompagner activement les processus de décroissance. Ils continuent à miser sur la croissance, et excluent d’emblée les options possibles de « consolidation » et de « retrait maîtrisé ». De ce fait, ils ne sont pas préparés aux reculs qui ne cessent de se produire dans la réalité.

Le calme au lieu de l'agitation
Une planification intégrant la décroissance doit tenir compte de différents aspects. Il s’agit d’une part de développer des visions positives pour les régions en décroissance. C’est ainsi que, dans sa vision intitulée « Paix aux paysages », Wolfgang Engler recommande de faire des régions décroissantes des « espaces de calme et de régénération ». Au lieu de vouloir rapprocher leurs conditions de vie de celles des régions de croissance en termes quantitatifs, on devrait chercher à analyser ce qui fait la qualité de vie d’une région. Ce sont des régions où la vie est plus calme, plus lente et plus frugale, parce que la proportion de personnes âgées y est plus élevée que dans les régions de croissance. Ce sont aussi des territoires qui privilégient les relations économiques régionales, et où le coût de la vie est plus bas que dans les agglomérations en pleine expansion.
Un des autres aspects est la nécessité d’assurer un approvisionnement de base dans les régions structurellement faibles, y compris dans des conditions économiques difficiles. Des fournisseurs polyvalents peuvent par exemple assurer l’approvisionnement de proximité. On peut aussi envisager la mise en place de systèmes régionaux d’approvisionnement en énergie, ou des services plus souples avec des bus à la demande et des prestataires de service mobiles.

L'aménagement du territoire joue un rôle charnière
Dans les territoires en décroissance, toute extension des zones urbanisées entraîne une sous-utilisation des structures existantes, qui constitue une dépréciation de fait du territoire.Il faut donc stopper tous les mouvements d’extension, et résoudre à la place le problème des bâtiments inutilisés ou sous-utilisés, et celui de la surcapacité des infrastructures.
A l’heure actuelle, les plans d’aménagement du territoire sont conçus pour transformer les espaces verts en zones constructibles. Il s'agit donc d'adapter et de développer les outils d’aménagement du territoire. Il doit être possible de réaménager les agglomérations existantes.
Toucher aux zones urbanisées ne doit plus être un tabou. Une décroissance supportable pour la société exige beaucoup de doigté, non seulement dans la planification, mais aussi et surtout dans la phase de négociation. Cela signifie qu’à leur rôle de planificateurs, les acteurs de l’aménagement du territoire doivent ajouter ceux de négociateurs, de médiateurs et d’animateurs. La maîtrise des processus de décroissance peut ainsi devenir une épreuve de vérité en matière de bonne gouvernance.

Financer la qualité de vie plutôt que les infrastructures
Repositionner l’aménagement du territoire coûte cher, organiser la décroissance aussi. Cet argent doit être retiré aux projets d’aménagement et d’extension devenus inacceptables en terme de durabilité, pour être investi dans la « consolidation » et le « retrait maîtrisé ». Les fonds doivent être utilisés pour la formation, les négociations, les projets de réaffectation ou de réduction de bâtiments, la décontamination de sites et les améliorations immatérielles de la qualité de vie dans les territoires en décroissance.
L’aménagement du territoire n’est pas en mesure, à lui seul, de faire de la décroissance un sujet qui s’impose dans le débat public. Il doit collaborer avec des partenaires stratégiques issus d’autres disciplines, parfois mieux placés pour organiser les processus de décroissance de façon efficace et convaincante, dans le contexte des grands thèmes actuels : crise économique et financière, changement climatique, difficultés d’approvisionnement en énergie et en matières premières, évolution démographique ou solutions alternatives en matière de transports.

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La politique accepte-t-elle le défi ?

Pour accompagner le processus de décroissance, il faut une volonté politique. Les cantons montagnards suisses des Grisons et d’Uri ont lancé la discussion il y a un an avec un rapport sur les territoires à faible potentiel. Ils voulaient montrer ce qui se passe si on laisse se poursuivre la tendance – baisse de la natalité, émigration, perte d’emplois, etc. – sans redresser la barre. Trois scénarios possibles sont présentés : croissance, reprise ou décroissance.
Selon le rapport, la non prise en compte des régions en décroissance reflète la réponse actuellement donnée par la Suisse à la question des territoires à faible potentiel. Les auteurs du rapport estiment que cette attitude manque d’honnêteté, autant envers les habitants des territoires concernés que vis-à-vis de la population du reste du canton. D’après eux, le processus de décroissance accompagnée offre de nouvelles opportunités, et est déjà réalisable avec les instruments actuels. Ils définissent également comme objectif possible la retraite intégrale, c’est-à-dire l’évacuation forcée et la renaturation de vallées, qui offrirait de nouveaux potentiels pour les prochaines générations. Mais ils jugent cette solution peu réaliste, pour des raisons politiques.
Le rapport a déclenché de vives réactions. Les régions concernées se sont senties abandonnées, comme l’explique Stefan Engler. Pour le conseiller d’Etat du canton des Grisons, c’est une réaction très compréhensible. L’optique de gestion entrepreneuriale très marquée risque de faire oublier l’aspect humain. « Accompagner la décroissance fait penser à l’accompagnement vers la mort » déclare Engler. Capitulation et perte du pays natal sont alors considérées comme liées. « Parler de retraite intégrale est une discussion académique et coupée de la réalité, parce qu’elle oublie les gens et leur enracinement ! »
Les Grisons, semble-t-il, ne font rien dans le sens d’une décroissance accompagnée. Pour le conseiller d’Etat, le rôle des élus est d’aider les habitants de ces régions à s’en sortir eux-mêmes, dans la mesure où ils le souhaitent. L’amélioration des structures devrait renforcer les conditions nécessaires à un développement autodéterminé. Les Grisons cherchent à cet effet des régions pilotes.
Entre temps, la discussion sur la décroissance a été de nouveau enterrée par les politiques. L’accent est mis désormais sur les scénarios de croissance et de reprise.
Barbara Wülser/CIPRA International
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Source : Alpenscène n° 93 (www.cipra.org/fr/alpmedia/publications/4282)
Mots-clés associés : Développement régional