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Un besoin urgent d’outils efficaces de régulation

09/06/2008 / Alexandre Mignotte
Depuis les années cinquante, le nombre de résidences secondaires n’a cessé de croître, à tel point qu’avec plus de 3 millions d’unités recensées en 2004, elles représentent 10% du parc total de logements et assurent à la France la place de leader mondial.
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Certaines communes françaises tentent de maîtriser le développement du marché immobilier. Ainsi, dans un contexte de pénurie en eau, la commune des Gets a adopté des mesures de régulation innovantes. © N. Joly/ Office du Tourisme des Gets
Le phénomène touche toute la France, toutes les classes sociales et toutes les classes d’âges, mais il affecte particulièrement les deux régions alpines françaises : Provence-Alpes-Côte-d’Azur et Rhône-Alpes avec respectivement plus de 487 000 et 393 000 résidences selon une estimation du Guide de la Résidence Secondaire pour l’année 2004.

Gourmand en espace
La pression foncière se manifeste partout en France depuis quelques années. Dans les Alpes, elle est la conséquence de phénomènes prégnants et difficilement maîtrisables aujourd’hui :
– une périurbanisation liée à la présence de grandes villes alpines, qui désormais s’étalent sur les zones montagneuses voisines. La situation du sillon alpin et des massifs préalpins en témoigne ;
– la dynamique touristique, quant à elle, s’appuie depuis de nombreuses années beaucoup plus sur la vente d’immobilier de loisir que sur les activités d’accueil et de loisir au sens large. Ce mécanisme, déjà dénoncé dans un rapport de 1986 à propos des stations de montagne, a été relancé par les incitations à l’achat d’immobilier de loisir grâce à de récentes lois qui le favorise dans certaines zones (ZRR). Or, avec les mécanismes de concurrence inter-station, cette mesure a en réalité relancé la construction sur l’ensemble du massif alpin, aggravant la pression foncière dans les zones touristiques mais aussi désormais à leurs marges.
Ces deux phénomènes ont de fortes répercussions sur l’ensemble de l'espace alpin dans la mesure où celui-ci est un espace fragile, soumis à de fortes contraintes notamment en matière de risques naturels. Les conséquences sont graves : l’espace est un bien de plus en plus convoité. Les paysages, qui sont une des richesses de l’espace alpin, sont menacés. La dynamique même des activités économiques majeures, le tourisme et l’agriculture, est menacée. Plus grave encore, l’habitat permanent des populations locales et des travailleurs saisonniers n’est plus assuré, des situations inédites de périurbanisation inversée se développent.

Tentatives de régulation
De tels déséquilibres, induits entre autres par la multiplication des résidences secondaires sont désormais bien connus. Pourtant les élus locaux sont souvent démunis d’outils de maîtrise foncière efficaces leur permettant de freiner, voire d’endiguer ce type de constructions, dont le temps moyen d’habitation est de 44 jours par an en France.
D’ailleurs, bien que le développement des résidences secondaires remette en cause les principes du code de l’urbanisme (art. L121-1 : principes d’équilibre entre développement et protection ; art. L 145-3 principes de protection propres aux zones de montagne), ce dernier ne permet pas directement de limiter, voire même de stopper le phénomène. Dans ce cas, le maire peut être amené à suspendre l’attribution de permis de construire, tel que l'a fait l’ancien maire des Gets à partir de 2003 pour contraindre les mécanismes de spéculations foncières sur sa commune et maîtriser son développement immobilier, d’autant que de tels phénomènes aggravaient des épisodes critiques de pénuries d’eau. En effet, c’est aux périodes touristiques, et notamment pendant la période d’étiage hivernal que les résidences secondaires sont les plus fréquentées. La stratégie des Gets s’est construite de façon globale dans le cadre d’un « projet Village 2003/2013 » qui s’est appuyé sur une révision du Plan Local d’Urbanisme (PLU).
Face à l’impossibilité pour une commune française d’interdire les résidences secondaires sur son territoire, la communauté de communes du massif du Vercors, par sa Charte de Développement du Territoire, a souhaité réguler, voire même contraindre le développement des résidences secondaires très consommatrices d’espaces et de ressources. En minimisant toute urbanisation diffuse au bénéfice de regroupement de parcelles, il devient possible d’organiser la construction et d’optimiser le foncier. Il a alors fallu mettre en avant des conditions de construction particulièrement directives sur les parcelles urbanisables du PLU : tracés des cheminements doux, accès, parkings et garages à mutualiser, implantations des constructions définies, formes urbaines et d’habitat attendues (petits collectifs, habitat groupé, intermédiaire, grosses maisons pluri-familiales), mixité fonctionnelle et sociale (logements touristiques et résidences principales, le pourcentage de logement social, voire une part d’activités).

Réchauffer des lits froids
Par ailleurs, pour remettre sur le marché les lits froids, des démarches de rénovation et de réhabilitation, avec la procédure des Opérations de Réhabilitation de l’Immobilier de Loisirs (ORIL) ont été instaurées par la loi SRU de décembre 2000. Treize stations pilote, dont certaines dans les Alpes, sont aujourd’hui concernées. A Tignes, la commune s’est associée avec l’opérateur privé de remontées mécaniques pour financer un programme de rénovation. Un diagnostic portant sur le nombre des propriétaires concernés ainsi que sur leurs attentes, a été réalisé. Une Maison des Propriétaires a été construite pour renseigner et capter ces propriétaires, rénovateurs potentiels. Bien que le bilan des ORIL soit mitigé au niveau national, l’expérience aurait permis de remettre 1 000 lits de plus sur le marché à Tignes en 2006.

Impliquer tous les acteurs
De nombreux élus se mobilisent aujourd’hui pour faire de leur territoire un espace de vie pour tous, toute l’année. La régulation des résidences secondaires dans les Alpes françaises est donc à installer dans un processus large visant à repenser « l’habitat alpin », lequel ne pourra aboutir que par un projet territorial durable et collectif : habiter les Alpes.
Une bonne gouvernance entre opérateurs publics et privés, entre secteurs immobilier et touristique, mais aussi agricole et industriel est indispensable. L’ensemble des acteurs concernés, et en premier l’Etat, dans sa mission d’aménagement du territoire et de développement durable est aujourd’hui interpellé pour façonner les outils performants d’une saine régulation des résidences secondaires.

Bibliographie :
Marcelpoil E. (coord.), 2006, Nouvelles pratiques touristiques en zones de montagne : vers un renovellement des pratiques de gestion foncière ? Rapport au Ministère du tourisme, Cemargef-Pacte Territoires, Grenoble, 71p., Saddier M., 2005, Foncier-logement : les territoires touristiques et frontaliers sous pression. Rapport au 1er Ministre, Paris, 78p.